Crucifixion

La crucifixion et la liberté d’expression artistique

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Bartolomé Estebán Murillo 1675 Cristo_crucificado, extrait de la peinture

Les peintres du Moyen Âge se sont engagés dans une forme d’appropriation culturelle inversée en s’inspirant de la période romaine classique dans leurs représentations religieuses de la crucifixion. Représenter Jésus sur la croix recouvert d’un pagne blanc est une fausse représentation de la crucifixion: les Romains ont crucifié Jésus nu, l’église a récupéré l’image, mais a couvert sa nudité pour le rendre culturellement acceptable à ses fidèles.

Notre pudeur face à la nudité

La crucifixion la plus célèbre du monde a eu lieu lorsque Jésus a été mis à mort par les Romains. Il était loin d’être la seule personne qui a péri sur la croix. Dans l’Antiquité, d’innombrables personnes ont été crucifiées. À l’époque, c’était l’une des façons les plus cruelles, brutales et honteuses de mourir. À Rome, le processus de crucifixion durait longtemps, impliquant des tourments avant que la victime ne soit clouée et suspendue à la croix.

Pendant 500 années, les Romains ont perfectionné la crucifixion jusqu’à ce que Constantin I l’abolisse au quatrième siècle A.D.

Parce que la crucifixion était considérée comme une façon extrêmement honteuse de mourir, Rome avait tendance à ne pas crucifier ses propres citoyens. Mais les esclaves, les soldats déshonorés, les chrétiens, les étrangers et les militants politiques ont souvent perdu la vie de cette manière.

La pratique est devenue particulièrement populaire en Terre Sainte pendant l’occupation par les Romains. En 4 B.C., les Romains ont crucifié plus de 2,000 Juifs. Il y avait même des crucifixions de masse pendant le premier siècle A.D. Jésus a été crucifié sous prétexte qu’il a incité la rébellion contre Rome, une condamnation comparable que l’on appliquait pour les fanatiques et les activistes politiques.

La crucifixion était un spectacle public conçu pour prolonger l’agonie et l’épreuve pourrait durer plusieurs jours. Pendant la préparation du prisonnier à l’exécution, et pendant l’exécution elle-même, l’humiliation sexuelle a joué un rôle important.

Nous sommes tous habitués à voir les représentations de Jésus sur la croix couvert d’un pagne blanc. Mais les Romains crucifiaient leurs victimes nus. Une partie de la torture de la crucifixion était l’humiliation de pendre nu avec possiblement avec une érection qui résultait de la position d’un corps suspendu par les bras. Jésus a été mis à nu avant d’être torturé à mort et c’est ainsi qu’il est mort: nu, peut-être avec une érection. L'érection est le résultat d'une réaction physiologique naturelle, à l'opposé d'une stimulation sexuelle, quand le corps se retrouve suspendu par les bras.

Crucifixion nue?

Les historiens ont souligné que la crucifixion n’était pas seulement une exécution souffrante, mais aussi une humiliation publique. C’est pourquoi les victimes étaient crucifiées nues: une dernière insulte. Jésus n’a pas été couvert afin de maintenir sa dignité en mourant sur la croix. Il a été dépouillé et exposé. Il est difficile pour nous, en cette ère d’accès facile à des images de nudité et de pornographie, de comprendre la grande humiliation subie en étant exposé au regard de tous, nu sur croix.

Depuis le Moyen Age, alors que les crucifix représentent généralement Jésus portant un pagne, cette image vise à satisfaire les traditionalistes religieux. Historiquement, les victimes de crucifixion étaient nues.

Quatre grands maîtres représentant une image de Jésus sur la croix, telle que perçue depuis le Moyen-Age : Peter Paul Rubens c. 1618, Michelangelo, 1540, Bartolomé Estebán Murillo 1675 et Diego Eelasquez,. 1545. Selon les conventions de l’époque et en harmonie avec leurs commanditaires, tous ont représenté Jésus avec un pagne blanc, protégeant ainsi sa nudité. Cette pratique se poursuit à ce jour, en ligne avec une vision religieuse réductrice.

La sculpture de Jésus nu par Michel-Ange (1492), conservée dans la Basilique Santo Spirito en Florence, est une œuvre saisissante et inhabituelle. Réalisée en bois, elle montre Jésus dans sa vulnérabilité humaine. Cette rare représentation nue illustre à la fois sa divinité et son incarnation, accentuant un profond réalisme spirituel. Jésus est représenté avec le corps d'un jeune homme, probablement âgé d'environ 12 ans.

La nudité dans notre société

De tous temps, la question de la nudité dans le domaine de l’art est une source de controverse. Pour fin de discussion, je fais la différence entre la nudité « publiée », celle que l’on retrouve dans le domaine public, par opposition à la nudité privée de la vie domestique.

L’artiste américain contemporain Edward Knippers a produit des centaines de peintures grand format basée sur la mythologie biblique, représentant la crucifixion de Jésus nu, selon la tradition romaine de l’époque.

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Dans le domaine artistique et pour notre société judéo-chrétienne, la représentation du corps humain est un sujet incontournable et controversé. Derrière ce grand thème, c’est la notion même de la beauté et de la vérité qui est à l’avant-plan. Le discours critique doit s’appliquer dans notre questionnement de la représentation du nu. Les questions traditionnelles, y compris les notions de la beauté, du véridique, de l’authentique, du genre, de la politique, de l’économie de la sexualité, de l’exploitation du corps, toutes ces questions de nature sociale sont essentielles pour positionner la représentation du nu dans le domaine de l’art.

Représentation contemporaine de Jésus sur la croix nu, par l’artiste américaine Amber Cobelle, inspirée des représentations traditionnelles de la Renaissance.

Dans notre société pudique et très exposée à la pornographie, la question de la représentation du nu dans le domaine artistique est souvent contestée. Il ne s’agit de voir comment des groupes politico-religieux de droite ont imposé leurs exigences aux média sociaux. Cette lutte contre la pornographie dans les média sociaux s’inspire de cette valeur que « le sexe est mauvais, sale et honteux ».

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La controverse créée par la campagne publicitaire du spectacle de la Troupe Marie Chouinard en février 2023 est une démonstration que la nudité dérange. La campagne promotionnelle a été bannie par Facebook et le promoteur Danse Danse a été menacé de voir l’ensemble de ses communications retirées de la plateforme Facebook. Photo : Sylvie Ann Paré

La photographie, peut-être plus que d’autres formes de media artistiques, par sa facilité de produire du matériel pornographique, soulève des questions éthiques quant à la distribution de matériel utilisant la nudité. Pour ce qu’on qualifie de nus « consentants », le potentiel d’inspiration d’une image peut être autant artistique que sexuel. Départager les deux volets laisse la porte grande ouverte à la contestation. Devant la déferlance de photographies à caractère sexuel explicite, les Meta et YouTube de ce monde préfèrent garder la porte fermée pour tous. Les créateurs qui désirent utiliser le corps comme source d’inspiration artistique se trouvent laisser pour compte.

Si la crucifixion de Jésus devait se produire aujourd’hui, on pourrait compter sur les bien-pensants pour s’assurer qu’aucune nudité ne soit visible en remontant son pagne jusqu’au cou. Les âmes sensibles exigeraient que les expressions de souffrance sur son visage soient réduites au minimum pour ne pas traumatiser les personnes fragiles. Et on réclamerait de le décrocher de la croix le plus vite possible afin de nettoyer le site. Car, bien sûr, l’actualité n’attend pas : il faut passer au prochain drame. Peut-être un train qui vient de dérailler, d’un embouteillage monstre causé par un fardier qui a prit feu sur l’autoroute 40, ou d’une manifestation pour la défense de l’environnement qui bloque le pont Jacques-Cartier.