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La vision anthropologique au XIXe siècle: Edward Curtis et Frank Rinehart

Photographie anthropologique du XIXe siècle

 

Deux grands noms de la photographie anthropologique ont documenté l’histoire amérindienne: Frank Albert Rinehart (1861 – 1928) et Edward Curtis (1868 – 1952). Chacun à leur façon, ils ont créé une large collection d’images d’une qualité exceptionnelle qui nous permettent aujourd’hui de mieux apprécier l’histoire amérindienne en Amérique du Nord.

 

Rinehart a eu l’occasion de photographier de nombreux chefs amérindiens en 1898 lors d’un grand congrès amérindien qui s’est tenu à Omaha. Par la suite, durant 2 ans, il a visité les tribus amérindiennes pour compléter son travail. La collection de photographies de Rinehart est conservée à la Haskell Indian Nations University.

 

Curtis est l’initiateur d’un projet photographie d’une ampleur inégalée pour documenter les Amérindiens auquel le musée Smithsonian fait référence comme l’une des plus grandes entreprises de publication de tous les temps. Photographe et ethnologue de la fin du 19e siècle, son travail anthropologique s’est concentré à documenter la présence des peuples amérindiens de l’Ouest américains. Il a laissé un inventaire photographique unique longtemps contesté, dont il a perdu les droits d’auteurs.

Edward Sheriff Curtis (1868 -- 1952)

Edward Curtis, 1868  –  1952 Photographe et ethnologue

Edward Curtis, 1868  –  1952
Photographe et ethnologue

Circa 1907

Les années de jeunesse d’Edward Sheriff Curtis (né en 1868 à Whitewater, Wisconsin) sont marquées par une vie rurale, instable et modeste, mais aussi par une curiosité autodidacte et un amour naissant pour la nature et la photographie. 

Né dans une famille modeste, Edward est le deuxième de quatre enfants. Son père, Johnson Asahel Curtis, est un vétéran de la guerre de Sécession devenu pasteur itinérant, souvent malade et peu stable financièrement. Sa mère, Ellen Curtis, tient la famille à flot du mieux qu’elle peut. La famille déménage fréquemment, suivant les missions religieuses du père, ce qui crée une enfance nomade et marquée par l’insécurité matérielle.

Vers 1874, la famille s’installe dans le Minnesota rural, près de Le Sueur. Edward quitte l’école très jeune, probablement autour de 6e ou 5e (éducation limitée). Il passe beaucoup de temps en extérieur, à observer les paysages, les animaux, les gens. Ce lien profond à la nature restera une constante dans son travail de photographe. Dès l’adolescence, il travaille avec son père et ses frères à divers petits emplois (menuiserie, agriculture, pêche).

Vers 1885-1887, à 17 ou 19 ans, Edward se passionne pour la photographie, à une époque où c’est encore une pratique expérimentale et artisanale. Il construit son premier appareil photo de ses propres mains, en utilisant une simple lentille et une boîte. En 1887, la famille s’installe près de Seattle (État de Washington). Son père meurt peu après, laissant la famille dans une situation difficile. Edward devient le soutien principal de la famille. Il trouve un emploi comme photographe de studio, puis ouvre son propre studio à Seattle avec un associé, Rasmus Rothi (puis seul).

À la fin des années 1890, son travail est remarqué pour sa qualité technique et son style artistique affirmé. Il photographie des paysages spectaculaires du Nord-Ouest américain, mais aussi des portraits très soignés, notamment d’Amérindiens locaux comme les Suquamish. En 1898, il photographie le prince Romanoff lors de son expédition en Alaska, ce qui lance sa réputation.

 

Photos présentées à l'exposition National Photographic Society, pour lesquelles il remporte le grand prix de l'exposition

En 1898, 3 images sont choisies pour une exposition de la National Photographic Society (incluant 2 photos de la princesse Angeline, connue sous le nom Kikisoblu, fille ainée du Grand Chef Seatle, née en 1820). Il remporte le grand prix de l’exposition et établi ainsi sa notoriété à l'échelle du pays.

En 1898, Curtis rencontre des scientifiques durant une expédition sur le Mont Rainier, des experts de la culture amérindienne On l’engage comme photographe officiel pour l’expédition Harriman d’Alaska en 1899.

En 1899, il participe à une expédition scientifique sur le Mont Rainier avec de grands intellectuels comme George Bird Grinnell. Il y rencontre les Blackfeet (Pieds-Noirs), ce qui le bouleverse. Il comprend que les cultures autochtones disparaissent, et décide de consacrer sa vie à les documenter. C’est ici que naît le projet titanesque de The North American Indian, qu’il poursuivra durant 30 ans.

En 1906, JP Morgan offre un soutien de $75,000 (équivalent à $2.5 millions de dollars constants, en 2025) pour produire une série d’images d’Amérindiens, afin de produire une collection de 20 volumes pour un total de 1,500 photos. Le fond est versé sur une période de 5 ans et ne doit supporter que le travail de terrain, excluant son salaire.

Avec ces fonds, il engage une équipe, incluant l’anthropologue Frederic Webb Hodger, du Smithsonian Museum.

Au total, 222 séries ont été publiées. Curtis est le photographe attitré, mais documente le style de vie en mode de disparition, et écrit les introductions des livres. Il produit aussi 10,000 rouleaux de cire pour enregistrer les langues et musiques des peuples en voie de disparition. Il a produit un total de 40,000 photos provenant de 80 tribus différentes.

Il a décrit les pratiques tribales, leur histoire, leur nourriture, habitation, habillement, cérémonies, jeux et pratiques funéraires. Il a écrit des biographies des chefs de tribu.

Avec l’émergence des techniques cinématographique, il a produit des films illustrant la vie les tribus. Ce matériel abondant est souvent resté unique.

Cette pratique a conduit certains historiens et anthropologues à remettre en question la véracité de son œuvre.​ L’authenticité du travail de Curtis a été fortement contesté. Conséquemment, l’ensemble de l’oeuvre s’est trouvée mis en doute et a été discréditée.

De plus, Curtis est un malheureux exemple d’une mauvaise gestion des droits d’auteurs. Avec ses ententes de soutien, il a perdu les droits de distribution de son oeuvre. Malgré de nombreuses années passées à accumuler un matériel abondant et original, il a été incapable d’assurer un revenu pour subvenir à ses besoins. Il est mort dans l’oubli total.

Les mises en scène présentées illustrent cette tension entre l’ambition artistique de Curtis et les attentes d’un travail anthropologique rigoureux. Son approche, bien qu’ayant permis de préserver des témoignages visuels précieux, soulève la question de l’interprétation et de la construction de l’image dans la représentation des peuples autochtones.

Edward Curtis, célèbre pour ses photographies des peuples autochtones d’Amérique du Nord au début du XXe siècle, a souvent été accusé d’embellir la réalité pour correspondre à une vision idéalisée et romantique de ces cultures. Son travail, bien qu’admiré pour sa qualité artistique et documentaire, a suscité des débats quant à son authenticité et à son approche éthique.

Curtis mettait parfois en scène ses sujets, leur demandant de porter des vêtements traditionnels anachroniques ou d’enlever des éléments de modernité comme des montres ou des armes à feu. Cette volonté de capturer une image « pure » des cultures autochtones, souvent dépeintes comme figées dans le passé, des mise en scène non conforme à la réalité amérindienne.

Contribution d’Adolph Muhr au travail de Curtis

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Photo d'Adolph Muhr, par Edward Curtis, prise en 1907

Né en Allemagne vers 1870, Adolph Muhr s’installe aux États-Unis à la fin du XIXe siècle, où il développe un art du portrait à la croisée du pictorialisme, du symbolisme et d’une rigueur plastique quasi sculpturale. Collaborateur discret mais essentiel de F. Holland Day et d’Edward S. Curtis, Muhr contribue à modeler une esthétique où le corps devient icône, lumière et silence. Dans l’ombre de ces grandes figures, son regard forge une œuvre rare, centrée sur la dignité et la beauté formelle des visages comme des corps, qu’ils soient antiques, androgynes ou autochtones.

​Il est surtout connu pour avoir travaillé avec F. Holland Day, photographe américain et figure majeure du pictorialisme. Certaines des œuvres de Muhr, souvent confondues ou attribuées à Day, montrent des jeunes hommes dans des poses qui évoquent des figures mythologiques ou religieuses, dans un style visuellement dramatique et très stylisé.

Son style se caractérise par une composition soignée, un éclairage sculptural rappelant la statuaire antique et une mise en scène symboliste. On y retrouve une forte inspiration dans les poses héroïques et les corps idéalisés, souvent dénudés mais jamais vulgaires.​ Muhr utilise la photographie pour explorer des dimensions à la fois spirituelles et érotiques du corps masculin. Cette approche, proche du symbolisme, confère à ses œuvres une profondeur émotionnelle et mystique.

Adolph Muhr a collaboré avec Edward S. Curtis, notamment au début du monumental projet The North American Indian, une vaste entreprise visant à documenter les cultures autochtones d’Amérique du Nord au tournant du XXe siècle.

Il a été le premier assistant de Curtis, jouant un rôle essentiel dans la mise en place des premiers volumes de la série. Il était réputé pour ses compétences en tirage photographique et retouche, et certains historiens suggèrent qu’il a contribué à la qualité esthétique des premières images du projet.

Muhr, en tant que tirreur expert, aidait à développer les photographies au platine, une technique exigeante qui donnait une richesse de tonalité exceptionnelle. Son apport artistique et technique aurait influencé la tonalité pictorialiste de certaines des premières images de Curtis.

Bien qu’il ne soit pas l’auteur des portraits les plus connus, il aurait participé aux séances photographiques sur le terrain, en soutenant Curtis dans la préparation et la mise en scène des prises de vue. Leur collaboration a été de courte durée. On ne sait pas avec certitude pourquoi elle s’est arrêtée, mais Muhr semble s’être éloigné du projet au profit de son propre travail ou d’autres engagements photographiques.

Le décès inexpliqué d’Adolph Muhr

 

Plusieurs chercheurs avancent aujourd’hui que Muhr a été impliqué, au début des années 1910, dans la défense des droits de certaines nations amérindiennes. En tant qu’ancien assistant de Curtis, il aurait conservé des négatifs ou des épreuves qui documentaient non seulement la richesse culturelle de ces peuples, mais aussi des éléments susceptibles de remettre en question les politiques fédérales de dépossession. Muhr devait comparaître comme témoin ou fournir ses archives dans un procès majeur impliquant des revendications territoriales autochtones.

Or, il meurt brutalement en 1913 à l’age de 43 ans, la veille du procès. Officiellement, la cause de sa mort n’est pas clairement établie. Certains évoquent un suicide, d’autres une disparition accidentelle. Mais le contexte et le moment précis ont nourri une hypothèse plus sombre : Muhr aurait été victime de pressions ou d’un silence imposé. Adolph Muhr aurait pu être appelé à témoigner ou à fournir des preuves photographiques en faveur des droits de certaines nations amérindiennes.

Cette disparition prématurée a contribué à l’oubli relatif de son nom, malgré l’importance de son rôle auprès de photographes plus célèbres comme F. Holland Day et Edward Curtis. Sa sensibilité artistique, très marquée par une esthétique du corps et du sacré, l’isolait peut-être aussi dans un milieu photographique encore très conservateur à l’époque.

Adolph Muhr demeure une figure aussi fascinante qu’énigmatique dans l’histoire de la photographie. 

La bataille de Little Big Horn (1876)

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À 36 ans, le colonel George A. Custer incarnait un mélange fascinant d'audace, d'ambition dévorante, d'impulsivité et d'arrogance. Ancien héros de la guerre de Sécession, où il s'était distingué par son courage téméraire dans la cavalerie de l'Union, Custer avait bâti sa réputation sur des coups d’éclat rapides, des charges spectaculaires, et un goût marqué pour la gloire personnelle. Mais en 1876, lors de la bataille de Little Big Horn, ses défauts prenaient le pas sur ses qualités :  Impatient et téméraire, il refusa d'attendre des renforts pourtant proches,  Méprisant ses adversaires, il sous-estima gravement le nombre de guerriers lakotas, cheyennes et arapahos rassemblés sous Sitting Bull, Crazy Horse et d’autres chefs,  Diviseur plutôt que rassembleur, il scinda ses forces en plusieurs groupes, affaiblissant ainsi sa propre capacité de résistance.

Edward S. Curtis a reconstitué la bataille de Little Big Horn en 1906-1907 dans le cadre de son ambitieux projet "The North American Indian". Il ne s'agissait pas d'un reportage historique strict : c'était une mise en scène photographique soigneusement orchestrée.

Curtis a recruté de véritables participants de la bataille, principalement des guerriers Lakotas (Sioux), Cheyennes et Arapahos, qui avaient combattu contre les troupes de Custer en 1876. Certains d'entre eux étaient des vétérans du combat, et il a pu ainsi bénéficier de témoignages de première main pour donner de l'authenticité à sa reconstitution.

Curtis n’a pas photographié sur le site historique exact de Little Big Horn, mais il a choisi des paysages similaires dans les Grandes Plaines pour évoquer l'atmosphère du lieu et de l'époque.

Il a dirigé ses sujets comme un réalisateur de cinéma, leur demandant de répéter des charges à cheval, de simuler des combats, des regroupements, des stratégies d'attaque ou de retraite. Les guerriers étaient vêtus de leurs habits traditionnels (parfois plus ornés qu’à l’époque réelle) pour renforcer l’aspect dramatique et visuellement saisissant.

Il a employé de lourdes chambres 6×8 ou 8×10 pouces, capturant des images très détaillées, et a utilisé des poses soigneusement étudiées pour donner un sentiment d'élan dramatique et de mouvement figé dans le temps.

En résumé, Curtis a reconstitué la bataille de Little Big Horn comme une fresque héroïque, en mélangeant témoignages réels, mise en scène théâtralisée et esthétique pictorialiste. Son objectif était moins de produire un document historique rigoureux que d’élever visuellement la mémoire amérindienne à la hauteur d'une légende épique.

Présentation du rapport de Curtis au gouvernement

En 1907, après avoir organisé la reconstitution de la bataille de Little Big Horn, Curtis a remis un rapport au gouvernement américain, plus précisément au Bureau des Affaires Indiennes (Office of Indian Affairs), qui dépendait du Département de l'Intérieur. Ce rapport accompagnait ses photographies et proposait un récit des événements tel que raconté par les anciens guerriers autochtones eux-mêmes.

Ce n’était pas simplement un document photographique. Curtis a rédigé un véritable mémoire dans lequel il relatait la bataille selon les témoignages autochtones, notamment ceux de guerriers lakotas et cheyennes ayant combattu contre Custer. Il proposait ainsi une version de la bataille du point de vue des vainqueurs amérindiens, ce qui était rare pour l'époque.

Voici une sélection d’images emblématiques réalisées par Edward S. Curtis dans le cadre de son projet de reconstitution de la bataille de Little Big Horn. Bien que ces photographies ne soient pas explicitement identifiées comme des reconstitutions de cette bataille, elles illustrent des scènes de guerre simulées et des portraits de guerriers autochtones, capturant l'esprit de cette époque.​ Ces images, bien que mises en scène, sont des témoignages visuels précieux des efforts de Curtis pour documenter et préserver les cultures autochtones. Elles offrent un aperçu de la manière dont il a recréé des scènes historiques pour capturer l'essence des peuples qu'il photographiait.​

Il semble que les autorités américaines de l’époque, peu désireuses de mettre en avant un récit glorifiant une victoire amérindienne contre l’armée américaine, aient jugé le contenu politiquement sensible et inacceptable pour diffusion officielle.

Le rapport a été perdu ou classé sans suite dans les archives gouvernementales. Pendant longtemps, il n'en a subsisté que quelques références dans des correspondances privées et des notes secondaires. Il n’a jamais été officiellement publié ni exploité dans la documentation historique gouvernementale sur la bataille de Little Big Horn.

Quelques fragments des témoignages recueillis par Curtis, notamment ceux de chefs comme Two Moons ou White Bull, ont été ultérieurement redécouverts ou recoupés par des chercheurs indépendants.


Curtis offrait une perspective autochtone authentique à une époque où l’histoire officielle était uniquement écrite du point de vue euro-américain. Que son rapport ait été supprimé montre à quel point la mémoire collective de Little Big Horn a été "manipulée" pour devenir une légende nationale centrée sur la figure de Custer, transformant une défaite militaire en mythe héroïque américain. D’ailleurs, plusieurs films d’Hollywood font foi de cette démarche.

L'entreprise "The Indian Picture Opera"

Entre 1911 et 1914, Edward S. Curtis a présenté un spectacle multimédia ambitieux intitulé "The Indian Picture Opera", conçu pour promouvoir son travail monumental The North American Indian et sensibiliser le public américain aux cultures autochtones. Ces présentations étaient des événements élaborés mêlant photographies projetées, musique en direct, narration dramatique et, parfois, costumes ou objets rituels authentiques.

Photographies projetées en lanterne magique

Curtis utilisait une lanterne magique (un précurseur du projecteur moderne) pour projeter sur grand écran des diapositives en verre tirées de ses photographies les plus marquantes. Les images étaient soigneusement choisies pour leur impact visuel : portraits plein pied, scènes de cérémonie, paysages grandioses, habitations traditionnelles, etc.

Narration dramatique et textes "poétiques"

Un narrateur (souvent Curtis lui-même) accompagnait la projection d’une voix grave et théâtrale, lisant des textes composés par Curtis. Ces textes étaient souvent lyriques, parfois sentimentaux, et décrivaient les peuples autochtones comme des figures nobles et tragiques, "disparaissant" sous la pression de la modernité. Il insistait sur leur beauté, leur dignité et la richesse de leurs traditions, dans un ton souvent mélancolique.

Musique orchestrale en direct

Le tout était accompagné d’un orchestre ou ensemble de chambre, qui jouait une musique composée spécifiquement pour l’occasion. Curtis avait collaboré avec Henry F. Gilbert, un compositeur américain influencé par les musiques folkloriques et autochtones. La musique visait à créer une ambiance émotionnelle, presque cinématographique avant l'heure, synchronisée avec les images et la narration.

Matériel ethnographique et mise en scène

Dans certaines représentations, Curtis exposait ou utilisait des objets authentiques : vêtements traditionnels, tambours, armes, artefacts cérémoniels… L’effet recherché était de plonger le public dans une immersion sensorielle totale, à mi-chemin entre le documentaire et le théâtre romantique.

Impact et réception

  • Le spectacle a tourné dans plusieurs grandes villes américaines.

  • Il a été bien reçu par le public blanc de l’époque, ému par cette "évocation d’un monde perdu".

  • Toutefois, avec le recul, certains critiques considèrent ce spectacle comme une mise en scène romantique et dépolitisée d’un génocide culturel réel — une forme de spectacle qui "esthétisait" la disparition des peuples autochtones tout en occultant les responsabilités politiques.

Les spectacles d’Edward Curtis, notamment The Indian Picture Opera, n’ont pas été une entreprise rentable au sens financier strict, bien qu’ils aient eu une certaine résonance culturelle.

 

Voici les éléments principaux à considérer :

Des recettes modestes malgré un bon accueil

  • The Indian Picture Opera a été bien accueilli par le public, surtout dans les grandes villes comme New York, Chicago, ou Washington.

  • Le spectacle attirait des curieux, des passionnés de cultures exotiques, et des cercles intellectuels ou artistiques.

  • Cependant, les revenus des billets ne suffisaient pas à couvrir les coûts élevés liés à la production : transport des équipements, cachets des musiciens, impression des diapositives, location des salles, etc.

Une entreprise très coûteuse

  • Curtis finançait ce projet avec l’aide de mécènes (notamment J.P. Morgan, qui avait promis 75 000 $ sur 5 ans pour soutenir The North American Indian).

  • Mais Curtis dépensait souvent plus qu’il ne recevait, notamment pour ses voyages, ses expéditions photographiques, et les présentations scéniques.

  • À long terme, le projet s’est transformé en fardeau financier personnel. Curtis s’est endetté, et sa famille a souffert de ses absences et de son obsession pour le projet.

Pas de succès durable

  • Après quelques années, l’intérêt du public s’est émoussé.

  • Le contexte social et politique changeait : les États-Unis entraient dans la Première Guerre mondiale, et les préoccupations nationales se détournaient des peuples autochtones.

  • Le spectacle a disparu sans laisser de profit, et même The North American Indian (l’œuvre imprimée) n’a pas été un succès commercial : très peu d’exemplaires ont été vendus.

Conséquence directe : la ruine

  • Dans les années 1930, Curtis était ruiné, épuisé, et presque oublié.

  • Il a vendu ses plaques photographiques et ses droits pour une somme dérisoire.

  • Ce n’est qu’après sa mort, à la fin du XXe siècle, que son œuvre a été redécouverte et célébrée.

En résumé, le spectacle Indian Picture Opera a été un chef-d'œuvre artistique, mais un échec économique. Il a participé à forger la légende romantique des peuples autochtones dans la culture américaine blanche, mais sans générer de revenus durables, ni pour Curtis ni pour ses mécènes.

Positionnement politique

 

Edward S. Curtis n’a pas exprimé directement d’opinions politiques très claires ou militantes au sens traditionnel du terme. Cependant, plusieurs aspects de son travail peuvent être interprétés comme porteurs de messages implicites, voire politiques, même si lui-même ne s’est pas présenté comme un activiste.

Voici comment comprendre sa position politique :

Une mission "civilisatrice" dans l’esprit de l’époque

Curtis était influencé par les idéologies de son temps, notamment la croyance que les cultures autochtones étaient en voie de disparition. Son projet monumental, The North American Indian, visait à préserver par la photographie et l’écrit les modes de vie de ces peuples avant qu’ils ne disparaissent, Cette attitude était une idée teintée de colonialisme culturel, mais vue comme noble à l’époque. Ce n’était pas un projet politique revendicatif, mais il reposait sur une vision paternaliste.

Financement par J.P. Morgan

 

Le projet de Curtis a été financé en partie par le banquier J.P. Morgan, ce qui le liait indirectement à des milieux capitalistes et conservateurs. Cela l'a probablement dissuadé de prendre une position ouvertement critique envers le gouvernement ou les politiques d'assimilation forcée.

Silence sur les injustices

 

Curtis n’a pas publiquement dénoncé les politiques fédérales américaines telles que les internats pour autochtones, les déplacements forcés ou les spoliations de terres. En cela, on peut dire qu’il a adopté une posture apolitique, voire complaisante à l’égard de l’ordre établi.

Un regard esthétique idéalisé plutôt qu’ethnographique objectif

 

Curtis mettait parfois en scène ses sujets, leur demandant de porter des vêtements traditionnels ou de poser dans des contextes intemporels, effaçant volontairement les influences contemporaines (comme les vêtements occidentaux ou objets modernes). Cette démarche, bien qu’esthétique, peut être perçue comme un acte idéologique : il figeait les peuples autochtones dans un passé idéalisé, ce qui les dépolitisait.

 

Une vision romantique

Edward Curtis n’a pas explicitement exprimé d’opinions politiques dans ses écrits ou interviews connus. Toutefois, son œuvre porte en elle une certaine vision nostalgique, coloniale, parfois romantique du monde, Cette vision reflète les tensions culturelles et politiques de son époque, sans les confronter de front. Son silence sur certaines injustices, combiné à une mise en scène de la tradition, a eu des effets politiques, possiblement sans qu’il en ait été conscient.

Dernières décennies de la vie de Curtis

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Edward Curtis, a trois périodes de sa vie: Jeune, à Seattle en 1887, la seconde vers 1907, le la dernière, vest 1940

La vie d’Edward S. Curtis après 1920 a pris un tournant dramatique, marqué par la désillusion, les difficultés financières, et un certain effacement du paysage culturel, malgré la monumentalité de son œuvre.

C’est la fin de son projet titanesque. Curtis continue à publier les derniers volumes de The North American Indian jusqu’en 1930 (20 volumes + 20 portfolios), mais avec énormément de difficultés. Le soutien de J.P. Morgan s’était arrêté en 1915, à la mort de ce dernier, et la guerre, puis la Grande Dépression, ont rendu son travail encore plus difficile à vendre. Il dépense une fortune personnelle dans le projet, qu’il ne récupère jamais.

 

Sa vie familiale se détériore : Curtis est obsédé par son projet, souvent absent, et finit par divorcer en 1919. Son ex-femme obtient une partie de ses droits sur ses photographies comme compensation, ce qui le prive de revenus supplémentaires à un moment critique.

 

Dans les années 1920 et 1930, Curtis devient de plus en plus isolé. Son œuvre est considérée comme datée, voire dépassée : le modernisme s’impose dans l’art, et son style romantique n’a plus la cote. Il s’installe à Los Angeles, où il travaille dans l’ombre à des emplois alimentaires, notamment comme technicien photo pour Cecil B. DeMille sur des films hollywoodiens.

En 1935, la succession Morgan vend les droits de tout le matériel non publié de Curtis pour un total de $1,000 plus redevances à un collectionneur de livres rares. Cette vente inclut 19 collections d’images, des milliers d’impressions papier, les plaques de cuivre et les négatifs originaux. La majorité du matériel demeura intouché et redécouvert en 1972 dans un sous-sol d’une maison de Boston.

Curtis meurt en 1952, à 84 ans, chez sa fille à Whittier, Californie, dans l’oubli, sans reconnaissance publique, ni honneurs. À sa mort, peu de gens se souviennent de l’ampleur de son travail, pourtant monumental.

Dans les années 1970, des historiens, artistes et défenseurs des peuples autochtones redécouvrent son œuvre. Ses photographies sont exposées dans les musées les plus prestigieux, et ses volumes originaux deviennent extrêmement précieux (aujourd’hui, une série complète vaut plusieurs centaines de milliers de dollars).

Il est désormais reconnu comme l’un des photographes documentaristes les plus importants de l’histoire des États-Unis, malgré les controverses autour de sa mise en scène et de sa vision romantique.

Curtis a terminé sa vie dans l’ombre, sans reconnaissance, ni argent, mais son œuvre a survécu à son époque et connaît aujourd’hui un rayonnement posthume considérable.

Autres photographes marquants

Frank Albert Rinehart (1861 — 1928)

Frank Albert Rinehart (d’origine germanique, né dans l’Illinois, 1861 – 1928) est un artiste américain célèbre pour ses clichés  de chefs de tribus et de scènes amérindiennes. Rinehart développe ses connaissances photographiques avec le photographe Charles Bohm, à Denver. En 1881, il forme un partenariat avec le célèbre photographe William Henry Jackson, de renommée mondiale pour ses images de l’Ouest américain. En 1885, s’installent à Ohama, dans le Nebraska, ou il démarre son propre studio photographique.

Frank Albert Rinehart

Il recoit le contrat de faire des portraits des Amérindiens participant au Congrès Indien de 1898 à Omaha. Il s’agissait alors du plus grand rassemblement de tribus amérindiennes, réunissant plus de 500 membres appartenant à 35 tribus différentes. Le chef des Apaches, Geronimo, qui était encore à l’époque prisonnier de guerre, était parmi les participants. Avec son assistant Adolph Muhr, ils produisent ce qui est maintenant considéré comme une des meilleures documentations photographiques des dirigeants indiens au tournant du siècle.

Rinehart a fait ce que ses contemporains n’ont jamais jugé utile: il offre à ces chefs et aux membres des tribus une chance d’afficher leur dignité et leur individualité. La beauté dramatique de ses portraits est particulièrement impressionnante. Au lieu d’être des enregistrements ethnographiques froids, les photographies de Rinehart sont des portraits d’individus mettant l’accent sur la force d’expression de ses sujets.

Photographiés en studio, Rinehart a capté ses sujets avec un appareil photo utilisant des négatifs sur verre de format 8 x 10 et un objectif allemand. La gamme de tons nuancés et la grande qualité de ses tirages suggère l’utilisation du procédé d’impression utilisant le platine, qui offrait à l’époque le meilleur type d’impression des clichés de toutes les méthodes de développement chimique.

La plupart des photographies des Amérindiens du 19ème siècle étaient des instantanés extérieurs, captés dans le but de classer et enregistrer les membres de différentes tribus. Il est largement admis que les travaux de Rinehart et de son assistant Adolph Muhr ont eu un impact significatif sur la manière dont les Amérindiens ont été décrits dans les décennies qui suivirent, alors même que leurs terres et leurs droits étaient bafoués. Chaque photo est accompagnée du nom du sujet, ce qui renforce sa place dans la mémoire collective de la conscience américaine.

Après le Congrès amérindien, Rinehart et Muhr ont parcouru les réserves amérindiennes pendant deux ans, rencontrant les chefs américains qui n’évaient pas été présents, tout en illustrant la vie quotidienne et la culture autochtones de l’ouest des États-Unis.

Les portraits spectaculaires de Rinehart nous rappellent le traitement cruel et injuste des populations amérindiennes des États-Unis.

La collection de photographies amérindiennes de Rinehart est conservée à la Haskell Indian Nations University. Depuis 1994, la collection est organisée, conservée, copiée et cataloguée dans une base de données informatique, financée par le Bureau of Indian Affairs et la Hallmark Foundation. Elle comprend des images de l’exposition de 1898, de la grande exposition américaine de 1899, des portraits de studio de 1900 et des photographies de Rinehart prises à la Crow Agency dans le Montana également en 1900.

Références visuelles

The Photography of Frank A. Rinehart  Huckberry 


A une épque marquée par l’opression, le photographe Frank Albert Rinehart a su illustrer la digniét et l’individualité des tribus amérindiennes.

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Collection de la bibliothèque publique de Boston sur Flickr

Album Flickr de 119 photos, avec documentation historique, sous licence CC (Common Creative)

Collection WikiMedia Commons

Collection de 98 photos, avec documentation, sous licence CC

Impression platine

Les impressions utilisant le platine, également appelées platinotypes, sont des épreuves photographiques réalisées selon un procédé d’impression monochrome utilisant du platine. Les tons des platinotypes vont du noir chaud au brun rougeâtre, en passant par les gris demi-ton étendus impossibles à obtenir avec un tirage argentique.

Contrairement au procédé d’impression utilisant l’oxyde d’argent, le platine repose sur la surface du papier, tandis que l’oxyde d’argent se trouve dans une émulsion de gélatine ou d’albumine qui recouvre le papier. En conséquence, sans l’utilisation d’une émulsion de gélatine, l’image finale du platinotype est absolument mate avec un dépôt de platine (et / ou de palladium, son élément jumeau qui est également utilisé dans la plupart des épreuves de platine) légèrement absorbé dans le papier.

Les tirages platinotypes sont plus durables que les autres procédés photographiques. Les métaux du groupe du platine sont chimiquement très stables.

Certaines des caractéristiques avantageuses d’une épreuve platinotype incluent:

  • La qualité de réflexion du tirage est plus diffuse par nature que les impressions sur papier glacé qui présentent généralement des réflexions spéculaires;

  • Une gamme de tons très nuancés et élargie;

  • L’absence d’un enduit de gélatine prévient la tendance des clichés de gondoler;

  • Les tons les plus sombres des tirages sont plus détaillés et clairs que les impressions à base d’argent (plus de détail dans les zones sombres).

Orlando Scott Goff (1843 – 1907)

C’est dans son Connecticut natal qu’il a appris le métier de photographe. En 1868, il s’installe au Wisconsin. Il engagea comme apprenti, son futur associé, David Francis Barry. En 1871, il s’installe au Dakota où il fonde un studio et une galerie photographiques. En 1875, il accepta le poste de photographe au fort Abraham Lincoln, tandis que le lieutenant-colonel George Armstrong Custer et plusieurs unités du 7e Régiment de cavalerie y étaient stationnés.

Goff a pris les dernières photos de Custer et de ses officiers et de ses hommes avant leur engagement à la bataille du Petit Bighorn contre les Sioux, Cheyenne et Arapaho alliés de Sitting Bull. Goff est retourné à Bismarck pour s’occuper de son studio. En 1881, il prit la photo de Sitting Bull de la bande Hunkpapa du peuple Lakota. Il voyageait souvent dans des voyages à l’extérieur de son atelier, capturant des images des Amérindiens à travers les Plaines.

Orlando Scott Goff
David Francis Barry
David Francis Barry (1854 – 1934)

Entre 1878 et 1883, à l’aide d’un studio photographique portable, Barry a voyagé à travers les Grandes Plaines, y compris le Dakota et le Montana, prenant des photos au fur et à mesure de ses déplacements. Barry s’est fait un nom en photographiant des personnalités Lakota telles que Sitting Bull, Rain-in-the-Face, John Grass et d’autres. Les Lakotas le surnommaient « Little Shadow Catcher ». Barry retourna au Wisconsin en 1890, où il dirigea une galerie prospère dans la ville de Superior jusqu’à sa mort en 1934.

Références visuelles

Collection Flickr du musée MOPA (Musée des arts photographiques), 123 images

Collection Flickr du musée McCord, un projet démesuré, 30 images

Collection Flickr du musée Smithsonian, 22 images


Collection Wikimedia


Collection Flickr privée

Type d’équipement utilisé à la fin du XIXe siècle

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Caméra 8 X 10, utilisant des plaques de verre sensible pour capter l’image. C’est le type d’éqipement que Rinehart er Curtis utilisaient en studio et sur le terrain, qui permettait d’obtenir des images précises et de haute résolution.

Références

Gallerie Edward Curtis

Musé Smithsonian   Le projet épique d’Edward Curtis de photographier les amérindiens

Northwestern Unversity  Projet Curtis

PBS  Le capteur d’ombres

Musé de Portland   L’héritage d’Edward Curtis

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